TCA et sexualité : quand le rapport à l’autre devient complexe

Les personnes souffrant de TCA (troubles du comportement alimentaire) ont-elles une vie sexuelle épanouie ou inhibée en ce qui concerne la vie sexuelle ?

Dans le quotidien des personnes souffrant de TCA envahissants, la place laissée à l’autre est souvent minime, voire inexistante. Pas par égoïsme, ni par indifférence, mais parce que tout l’espace intérieur est occupé. Occupé par une nourriture omniprésente, mais aussi et surtout par un malaise existentiel, diffus, profond, invisible.

Une indisponibilité relationnelle bien cachée

Ces personnes donnent l’impression, au travail ou en société, d’être à l’aise, enjouées, voire brillantes. Mais derrière cette façade souvent bien maîtrisée, se cache une grande indisponibilité intérieure. Le lien à l’autre est difficile à établir : trop d’insécurité, trop de doutes, une sensation de devoir jouer un rôle pour plaire, pour ne pas être jugé, pour ne pas être rejeté.

Elles ne se sentent jamais réellement à la hauteur, et ce sentiment d’étrangeté intérieure, d’inadéquation, n’est pas visible à l’œil nu. Personne ne peut deviner combien la relation à l’autre est compliquée, combien le regard de l’autre est redouté. C’est une douleur de contact qui échappe souvent même aux proches.

Cette souffrance n’empêche pas nécessairement une vie professionnelle ou familiale épanouissante en apparence. Mais vivre en couple devient souvent un obstacle : soit ces personnes fuient la relation intime, soit elles en sont exclues. Leur partenaire, au fil du temps, peut finir par les trouver trop « bizarres », trop absentes, ou au contraire, trop exigeantes émotionnellement.

Sexualité et TCA : deux extrêmes inconfortables

Lorsque la sexualité entre en jeu, le TCA vient souvent perturber ce champ déjà sensible. Les crises de boulimie ou d’hyperphagie entraînent une aversion pour le corps. Après une crise, se regarder dans un miroir devient insupportable. Se faire toucher, se montrer nu, devient presque inconcevable. Le rapport sexuel est vécu comme un devoir, une gêne, une épreuve. Certaines se forcent pour ne pas frustrer leur partenaire, d’autres repoussent sans cesse la rencontre.

Paradoxalement, dans les groupes de thérapie, un autre profil apparaît : celui de femmes très demandeuses de rapports sexuels. Non pas parce qu’elles se sentent bien dans leur peau, mais parce que leur désir d’amour, de réassurance, d’existence à travers le regard de l’autre est tellement fort qu’il prend la forme d’un besoin sexuel compulsif. Ces femmes ont parfois l’impression d’être « trop collantes », et certaines, pour ne pas accabler leur conjoint, prennent des amants. Une patiente confiait : « Je ne veux pas être un poids pour mon mari, alors j’ai des amants. »

Ce type de comportement reste minoritaire, mais il révèle à quel point l’addiction alimentaire peut déformer le rapport au corps, au désir, à la relation.

 

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Quand l’amour devient un casse-tête émotionnel

Ce n’est pas tant la sexualité en soi qui est le problème, mais ce qu’elle suppose : intimité, lâcher-prise, confiance. Autant de choses difficiles à vivre quand on a une image de soi déformée, fluctuante, dépendante du regard extérieur. Les personnes souffrant de boulimie ou d’hyperphagie vivent souvent avec un mental agité, une émotivité à fleur de peau, une tendance à l’interprétation excessive. Un mot, un geste, un silence du partenaire peut être ressenti comme un rejet, une humiliation, une agression.

La vie sexuelle en devient imprévisible, difficile à maintenir dans la durée. Cela ne veut pas dire que ces femmes ne veulent pas aimer. Au contraire, elles aiment souvent intensément. Mais cette intensité devient une charge émotionnelle difficile à gérer pour le couple.

Il faut également souligner que la sexualité est un domaine soumis à de nombreux paramètres : biologiques, hormonaux, affectifs, culturels. Les TCA ne sont pas les seuls facteurs en jeu, et il serait abusif d’en tirer des généralités rigides.

Mais il est indéniable que chez une majorité de patientes suivies en psychothérapie de groupe, les premiers temps d’une relation (les trois premières semaines ou les trois premiers mois) sont marqués par un emballement émotionnel qui ne tient pas toujours la route dans la durée. Quand l’idéalisation du couple s’effondre, le repli sur soi peut redevenir la norme.

Un appel à mieux comprendre la complexité du lien entre TCA et sexualité

Il est important de rappeler que les TCA ne sont pas que des troubles nutritionnels. Ils expriment une profonde difficulté à habiter son corps, à s’autoriser à exister tel que l’on est, sans se cacher, sans se juger. La sexualité, tout comme les relations amoureuses ou amicales, devient un champ de bataille intérieur.

Ce texte n’a pas pour ambition d’énoncer des vérités générales, mais d’ouvrir un espace de réflexion sur un sujet peu traité : le lien entre TCA et sexualité. Les observations issues des groupes de parole sont précieuses, mais elles ne remplacent pas des études statistiques. Pourtant, elles révèlent une réalité sensible, incarnée, et souvent tue : ces personnes ne manquent pas d’amour à donner, mais elles manquent souvent de sécurité intérieure pour le vivre sereinement.

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