D’où vient le sentiment de vide intérieur et comment se manifeste-t-il ?
Aujourd’hui, j’ai écrit un article sur la quête de soi. Comment trouver une structure intérieure quand on sent qu’on n’en a pas.
Il y a encore peu de temps, une jeune femme disait très clairement : « Je ne sais pas qui je suis », c’est-à-dire que je ne ressens pas une structure de base à l’intérieur de moi, je ne ressens pas un socle suffisamment solide, grâce auquel, bien que ne sachant pas qui exactement je suis, je pourrais enfin naviguer.
Même sans savoir qui je suis, je ressens au moins une sorte de structure chaotique, une trame inachevée, un peu comme si j’étais au-dessus d’un vide, sur un pont en cordage auquel il manquerait les planches de bois où poser ses pieds.
Cette jeune femme, professeur de philosophie, poursuit :
« Je sais bien que personne ne peut savoir qui il est. Depuis l’Antiquité, quand Socrate disait « Connais-toi toi-même », il voulait dire en réalité : découvre que tu ne sais rien, que tu n’as de la vie que des interprétations. »
Elle ajoute :
« Je n’ai pas vraiment besoin de me connaître, mais j’ai besoin de sentir qu’en moi, il y a un fond solide auquel je peux me fier, et non pas un sentiment de vide intérieur insupportable qui m’oblige à faire toujours semblant d’être parfaite quand je suis parmi les autres. »
Ce que les gens voient d’elle, ce n’est même pas du parfait, c’est du plus-que-parfait. En apparence, comme dirait Coluche, elle lave plus blanc que blanc. Mais en réalité, elle se sent décalée, paumée, envahie d’un sentiment de vide intérieur. Elle a peur que cela se voie. Elle tremble à l’idée qu’un jour les gens découvrent ce qu’elle cache : un chaos, un vide, un être qui joue la comédie toute la journée, et qui, le soir venu, s’anesthésie avec la nourriture ou l’alcool pour enfin trouver un peu d’apaisement.
Boris Cyrulnik, à travers ses recherches sur la résilience, souligne combien les premières expériences relationnelles sont décisives. L’identité ne se construit pas toute seule. Elle prend forme dans les tout premiers instants de la vie, dans le regard porté sur nous, dans les réponses affectives reçues.
Et si la personne nourricière est stressée, isolée ou carencée dans son estime de soi, le regard qu’elle porte sur son bébé n’est pas une vraie rencontre. Le lien est fragile, et l’enfant ne se sent pas connecté à son environnement. Ce manque de sécurité relationnelle dès les mille premiers jours peut semer les graines d’un sentiment de vide intérieur durable.
Pourquoi la thérapie de groupe peut aider à construire un soi solide
Même sans événement traumatique visible, un vide affectif peut s’installer dès la petite enfance, simplement parce que le regard complice, tendre et joyeux n’a pas été là. Ce vide relationnel empêche l’expression des émotions. Winnicott, pédiatre et psychanalyste, parlait de l’absence de gestes spontanés chez certains bébés : l’enfant n’ose rien exprimer, de peur que cela ne trouve aucun écho.
L’adulte qui en résulte cherche alors sans cesse un soutien extérieur, pas tant pour aimer que pour se sentir exister, être reconnu, compter pour quelqu’un. Ce n’est pas une quête de connaissance de soi, mais une tentative de compenser ce sentiment de vide intérieur par la reconnaissance d’un autre.
Ce manque fondamental peut être abordé en thérapie, et plus particulièrement en psychothérapie de groupe, qui offre un cadre rare et précieux. Car on ne se construit jamais seul. Le groupe devient un laboratoire relationnel où l’on peut tester ce que l’on aime, ce qui nous touche, ce qui nous dérange, ce que l’on veut préserver ou transformer.
Les autres participants agissent comme des miroirs humains. Tout résonne. Et ce que l’on découvre en les écoutant, c’est que l’on n’est ni seul, ni fou, ni bizarre. Entendre quelqu’un exprimer ce que l’on n’a jamais osé dire soulage. Cela évoque. Cela rassemble les morceaux épars.
C’est ainsi que, peu à peu, le sentiment de vide intérieur perd du terrain, remplacé par un sentiment de soi émergent, mouvant, mais plus ancré.
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De la quête d’identité au sentiment d’estime de soi durable
Dans ce travail, il ne s’agit pas de retrouver une essence fixe, une vérité ultime sur soi, mais de faire exister un soi vivant, relationnel, capable de se transformer. Les témoignages résonnent, deviennent des points d’appui. Ce qui était chaos devient matière à explorer.
Selon Boris Cyrulnik, la résilience, ce n’est pas comprendre ce qui a manqué, mais transformer ce qui est là pour aller vers autre chose. Ce n’est pas un retour vers le passé, mais un pas en avant. C’est là que la psychothérapie prend tout son sens : elle permet de passer du sentiment de vide intérieur à la construction progressive d’un ancrage personnel, affectif et symbolique.
Petit à petit, on se sent moins suspendu dans le vide. On ne cherche plus un regard extérieur pour exister, car un regard intérieur a commencé à se former. On n’est plus sur un pont troué, mais sur un chemin stable. Le groupe, dans cette reconstruction, a permis d’installer les planches manquantes.
À force d’exercices quotidiens dans la vie relationnelle du groupe, en s’efforçant d’être vrai, de ne pas juger, de ne pas séduire, le sentiment de vide intérieur se transforme en estime de soi. Et l’on peut alors se tenir debout, dans la vie, parmi les autres, sans se renier.