Une sensation permanente de manque ressentie parfois avant l’adolescence et qui se prolonge à l’âge adulte peut conduire à l’addiction ou à la violence
Il ne s’agit pas d’un vague mal-être. Ceux qui en parlent dans les groupes thérapeutiques savent très bien de quoi ils parlent. Une sensation de manque, c’est un creux intérieur qui prend toute la place, une tension permanente, une peur de ne pas être vraiment vivant. Pour certains, c’est la nourriture à outrance, pour d’autres l’alcool, les crises, les décisions soudaines. Tout pour fuir ce qui se passe dedans.
Dans un groupe animé par Catherine Hervais, cette sensation de manque est omniprésente chez tous les participants. Une femme confie : « J’ai eu une montée de joie après mon premier Zoom… C’était presque euphorique. J’ai parlé à mes proches, j’ai même demandé pardon. Et puis, le soir, j’ai fait une crise d’alcool. » Ce témoignage bouleversant montre combien le bonheur lui-même peut devenir insupportable lorsque l’on ne sait pas comment le contenir.
Une autre participante dit simplement : « Je suis tout le temps au bord du gouffre. Sinon, j’ai l’impression de ne pas vivre. » Ce manque est vécu comme une urgence permanente. Comme une alarme interne qui ne s’éteint jamais.
Quand le manque commence très tôt
Donald Winnicott, pédiatre et psychanalyste, expliquait que certains enfants ne reçoivent pas suffisamment de réponses affectives dans leurs premiers mois. Même sans drame visible, il peut y avoir un manque fondamental : celui d’une présence ajustée, douce, fiable. Pour survivre, ces enfants apprennent à se suradapter. Ils deviennent ce qu’on attend d’eux, mais ils grandissent sans jamais se sentir vraiment eux-mêmes.
Dans le groupe, cette réalité revient souvent. L’une dit : « Je me suis construite autour d’un vide… avec une personnalité qui n’était pas vraiment la mienne. » Une autre : « Depuis toujours, j’essaie de plaire, de ne pas déranger. Mais ça me laisse épuisée. »
Et parfois, ce « faux moi » finit par craquer. Le manque, qu’on avait réussi à contenir, explose en crises : boulimie, colère, isolement ou violence. C’est un mécanisme de survie, hérité de l’enfance, mais devenu inadapté à l’âge adulte.
Le manque vu par les neurosciences
Aujourd’hui, les recherches en neuro-imagerie confirment ces ressentis. Le cerveau de ceux qui ont connu une enfance insécurisante présente des activations différentes dans les zones liées au stress, à la mémoire émotionnelle et à la régulation des émotions.
Mais ces recherches montrent aussi que le cerveau peut changer. Il reste malléable, à condition de vivre de nouvelles expériences significatives. Et pas seulement des discussions ou des conseils. Des expériences vécues dans un cadre sécurisant, où la parole est libre, où les émotions peuvent être partagées sans être jugées.
C’est précisément ce que propose la thérapie de groupe.

Une sensation de manque qui trouve enfin un apaisement
Le groupe devient un lieu d’ancrage. Une femme raconte : « C’était ma première séance… Et je me suis sentie enfin accueillie sans jugement. Je me suis sentie moins seule. » Une autre ajoute : « J’ai toujours joué un rôle. Là, j’ai pu être moi, un peu. »
L’expérience du groupe agit comme un antidote à la sensation de manque. Ce n’est pas magique, mais c’est un début. Une femme exprime : « Je me rends compte que je cherche constamment du contact. Du sexe, de la danse, des gens. Pas pour le plaisir, mais parce que sinon, je me sens vide. » Puis elle ajoute : « Maintenant, j’ose dire ce que je ressens. Et ça me change. »
Même les excès sont nommés sans honte. Catherine Hervais rassure : « Tu seras contente un jour sans euphorie. Tu n’auras plus besoin de boire pour redescendre. » Le chemin est long, mais il mène vers une forme de liberté intérieure, où le manque ne gouverne plus les gestes.
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Une sensation de manque qui naît d’un silence trop ancien
Cette sensation ne vient pas d’un caprice, ni d’un événement ponctuel. Elle vient de loin. De cette période de la vie où le corps est déjà là, mais la parole pas encore. Quand on ne peut pas dire « j’ai peur », « j’ai besoin », « regarde-moi ».
Boris Cyrulnik, qui a beaucoup travaillé sur les mille premiers jours de la vie, insiste sur cette mémoire muette du corps. Ce que l’enfant n’a pas pu vivre à ce moment-là reste en lui, comme une attente jamais comblée.
Une participante du groupe dit : « J’ai besoin de tout ressentir fort, sinon je m’ennuie, je m’éteins. » Une autre ajoute : « Mon ennui, c’est une tempête intérieure. J’ai besoin de danser, de bouger, de faire quelque chose, sinon je me perds. »
Le corps réclame ce qu’il n’a jamais reçu : du contact, de l’émotion, de la reconnaissance.
Transformer le manque sans le fuir
Ce que permet le groupe, c’est d’apprendre à ne plus fuir cette sensation de manque. À rester avec elle un peu plus longtemps. À ne pas remplir le vide à tout prix, mais à l’écouter.
Une femme explique : « Je me suis sentie mieux. Et puis j’ai paniqué. J’ai bu. Mais je sens que quelque chose bouge en moi. » Une autre ajoute : « C’est la première fois que je ne me sens pas jugée. Ça change tout. »
Catherine Hervais encourage à rester dans ce mouvement : « Tu peux être toi. Tu peux ne pas être d’accord. Tu peux penser autrement que les autres. C’est ça, devenir autonome. »
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Une sensation de manque qui devient moteur de transformation
Une sensation de manque, quand elle est reconnue et travaillée, devient un levier. Elle pousse à chercher, à comprendre, à créer une nouvelle façon de vivre. Ce n’est pas confortable. Mais c’est fertile.
Comme le dit une participante : « Ce groupe, c’est dur parfois. J’ai pleuré. Mais j’y reviens. Parce que ça me fait du bien. Parce que je me découvre. » Et une autre conclut : « Je veux donner une chance à moi-même. »
Conclusion : habiter le manque autrement
Ce manque ne disparaît pas. Mais il peut être habité. Il peut être apprivoisé. Il peut même devenir une source de sens.
Ce n’est plus une douleur à fuir, mais un espace à explorer. Grâce à l’écoute, la parole, le courage partagé. Grâce à ce travail en groupe, chacun avance vers une manière plus juste, plus douce, plus humaine de vivre avec soi-même.