Boulimie et sensation de vide

La boulimie n’est pas une mauvaise habitude ni un manque de volonté. Découvrez comment la boulimie et la sensation de vide sont liées, et pourquoi la thérapie de groupe permet une véritable transformation intérieure.

On croit souvent que l’addiction naît d’un contexte social déséquilibré, d’un entourage déviant, ou d’une exposition trop précoce à des substances dangereuses. D’autres, plus influencés par les neurosciences, la présentent comme une maladie du cerveau, une pathologie chimique dans laquelle la volonté du sujet est impuissante face à l’empreinte de la dépendance. Pourtant, ces approches passent souvent à côté de l’essentiel. Car dans bien des cas, notamment dans l’addiction alimentaire, ce n’est pas le corps qui dysfonctionne. C’est le soi qui vacille.

Une souffrance psychique inscrite dans le corps

La boulimie, en particulier, illustre bien cette forme d’addiction qui ne repose pas sur une recherche de plaisir ou de sensation. Ce n’est pas une mauvaise habitude apprise dans un mauvais contexte. C’est une réponse à une détresse intérieure difficile à penser, une souffrance qui n’a pas trouvé les mots pour se dire. C’est un cri du corps quand la parole n’a pas suffi. Une tentative de survivre à une forme de sensation de vide qui rend l’existence incertaine, presque irréelle.

Joyce McDougall, psychanalyste d’origine néo-zélandaise, a beaucoup écrit sur ce type de souffrances. Pour elle, l’addiction n’est ni un choix, ni un vice, ni un simple comportement à corriger. C’est une stratégie de survie. Une solution corporelle à un mal-être psychique qui, faute d’avoir été symbolisé — c’est-à-dire compris, nommé, intégré — va se loger dans le corps. Elle parle d’une « solution psychosomatique », une réponse où le corps prend le relais de la pensée pour apaiser une tension intérieure devenue insupportable.

La nourriture, dans ce contexte, devient une sorte de médicament. Un médicament piégé. Elle calme l’angoisse, elle remplit le vide, elle rassure un instant, mais elle finit toujours par enfoncer un peu plus la personne dans la honte, l’isolement, et la perte de repères. Et plus l’image de soi s’effondre, plus le besoin de se remplir revient. Une spirale se forme. Et la volonté, seule, ne peut pas l’enrayer.

La boulimie, un symptôme de la sensation de vide

Ce n’est donc pas un trouble de l’alimentation qu’il faut soigner, mais une blessure du soi. Le rapport au corps, au plaisir, à la solitude, au lien, tout est imbriqué. Ce que l’on mange, ce que l’on interdit, ce que l’on rejette, ce que l’on cache, devient un langage de substitution. La boulimie parle à la place de ce qui ne peut pas encore être pensé.

C’est là que le travail thérapeutique prend tout son sens. Catherine Hervais, psychologue spécialisée dans les troubles identitaires, insiste dans ses livres sur l’importance de la psychothérapie de groupe pour ceux qui souffrent d’une sensation de vide intérieure. Elle explique que ce n’est pas l’alimentation qu’il faut contrôler, mais la souffrance qu’il faut entendre. Et cette souffrance ne peut se transformer que dans un lien.

Dans un groupe thérapeutique bienveillant, chacun peut parler sans être jugé. Chacun devient un écho pour les autres. On se reconnaît dans les mots de l’autre. On découvre qu’on n’est pas seul. Et ce simple fait — se sentir compris — devient souvent le premier vrai pas vers soi.

Progressivement, un soi plus solide émerge. Un soi qui n’est pas une façade, ni une réponse aux attentes, mais une présence intérieure vivante. Une personne qui ose ressentir, penser, se tenir debout. Cette reconnaissance intime, cette permission d’exister, transforme profondément le rapport à soi. L’estime de soi ne repose plus sur la réussite, mais sur la capacité à se sentir légitime dans ce que l’on vit.

Et alors, comme par surprise, l’obsession alimentaire perd son pouvoir. La nourriture cesse d’être un refuge. La boulimie n’était qu’un signal d’alarme. Une fois la tension apaisée, une fois la sensation de vide reconnue, le symptôme peut s’éteindre de lui-même.

 

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Retrouver un soi vivant, au-delà des compulsions

C’est pourquoi vouloir « arrêter de manger » ou « contrôler ses crises » sans comprendre ce que la nourriture vient remplacer, conduit le plus souvent à un nouvel échec. L’addiction alimentaire n’est pas une question de volonté. C’est une tentative de survie face à un lien blessé. Un lien à soi, un lien à l’autre, un lien au monde.

Quand on souffre d’une sensation de vide, c’est souvent qu’on a grandi sans miroir humain pour se construire. Le regard de l’autre n’a pas nommé, n’a pas soutenu, n’a pas reconnu. Et alors, le corps prend le relais. Il parle à sa manière. Il appelle. Il implore.

La thérapie de groupe permet de réparer ce miroir. Chacun devient témoin, soutien, présence. Et c’est dans cet espace partagé, parfois fragile, souvent intense, toujours sincère, que quelque chose peut enfin se dire. Ce qui n’avait jamais été dit.

Joyce McDougall a consacré sa vie à écouter ces douleurs muettes qui s’exprimaient par les symptômes. Elle a montré que sous les comportements les plus déroutants, il y a presque toujours un désir de vivre. De se sentir exister. De retrouver une forme de paix intérieure. L’addiction, loin d’être un échec ou une faute, est souvent un appel au secours — et parfois, une chance déguisée.

Comprendre la boulimie comme un signe de la sensation de vide, c’est redonner sa dignité à celui ou celle qui en souffre. Ce n’est pas excuser ou fuir la responsabilité. C’est replacer la personne au centre. Non pas comme coupable. Mais comme sujet.

Et parfois, il suffit d’un lieu sûr, d’une parole accueillie, d’un regard qui ne juge pas, pour que le besoin de se remplir disparaisse. Il ne reste alors que le désir de vivre.

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